Petite dédicace à deux amis qui ont bien tort de s'acharner à faire de la bande dessinée...
Alors qu'on sait tous QUI et OU sont les VRAIS auteurs de bandes dessinées.
Nous les saluons.


Suite de la merveilleuse histoire de l'édition du blog de Laulau.

Rappel de ce que vous avez raté, si, comme moi, vous ne lisez pas les commentaires
Dans les commentaires des notes précédentes, nous nous sommes penchés sur le sexisme dans le blog bd (et principalement dans le lectorat)et aussi un peu sur l'autobio féminine et, plus généralement, la bd féminine. C'était drôlement intéressant


Revenons donc à l'édition d'un blog d'une jeune femme racontant sa vie, "dans son nu le plus blème "(JJG)

La critique qui revient régulièrement c'est "c'est innintéressant, elle raconte son quotidien, tout le monde s'en fout"...
Et effectivement, ces gens là s'en foutent tellement qu'ils reviennent quotidiennement voir à quel point c'est pas intéressant ^^.


Du reste, y a til franchement des choses intéressantes à raconter dans l'autobiographie ?
A part l'ascension du Haut Mal et Maus, il y a peu d'oeuvres autobiographiques qui dépassent un peu la sphère de l'intime moite et parfois trivial... Si on a pas eu la chance d'avoir un père déporté et survivant de camp d'extermination, il faut avouer que c'est pas évident de faire une autobio un peu percutante.

L'autobio se prête généralement à un débalage de l'intime qui pose le lecteur en voyeur, comme le blog du reste. Dans l'excellent "journal d'un album" (l'Association), Phillipe Dupuy raconte la mort de sa mère et ses problèmes relationnels avec sa compagne de l'époque et les rapports de jalousie qui le lient à son co-auteurs et aux autres dessinateurs, en général (à mon avis la meilleure part de ce livre réalisé à quatre mains) . Voilà un exemple d'une oeuvre autobographique dont le fond est finalement assez "trivial", mais qui fait une grande part de l'intérêt du livre : on passe derrière le décor, et les auteurs nous racontent les coulisses de leur vie, forcément moins reluisantes que la scène vue des baignoires.
Pour faire hurler dans les chaumières, je parlerais aussi brièvement du très beau "Pilules Bleues" de Peeters, dans lequel, en ce qui concerne le fond, on touche là aussi aux limites de la pudeur (pour rappel, l'auteur parle de sa relation avec sa compagne séropositive et le fils de celle-ci, lui même atteint). Ce qui est intéressant c'est que, de ce sujet lourd et tabou, Peeters sort une oeuvre touchante et pleine d'amour et d'humour.

On pourrait aussi citer Chester Brown qui raconte sa lamentable vie sexuelle (les branlettes de Frantico sont à rapprocher de celles de Chester Brown) ou Craig Thomson et ses amourettes adolescente, sa perte de la foi et son dépucelage. Dans ces cas là, finalement, est ce que le sujet est primordial ? Pas tellement, ce qui rend ces livres forts (ou pas) c'est la façon dont les auteurs ont su narrer leur intime quotidien.

L'important dans ce registre n'est donc pas ce qu'on raconte (le quotidien), mais dans la façon dont on le raconte.
Vu que je passe des plombes à nettoyer les planches de Laurel, j'ai bien eu l'occasion de me pénétrer de chaque planche et de l'intérêt de ce que raconte la planche. Alors certes, c'est très instructif en terme purement technique de narration et de dessin. ça me permet notamment de voir à quel point elle est forte et comme elle s'est approprié certains codes graphiques, mais, en ce qui concerne l'intérêt de fond de chaque planche, ce n'est pas toujours très intense, de par le côté "note de blog quotidienne, ma vie mon nombril".
C'était d'ailleurs une des données de départ, et si on voulait faire quelque chose de bien, il fallait trouver un moyen pour ajouter du fond au fond (si je puis dire).
Donc on avait le matériau brut de Laurel : des notes de blogs, bien racontées, bien dessinées, mais... des notes de blog. C'est à dire de l'anecdotique qui n'est rattaché lors de la publication sur internet que par une chronologie de publication, ce qui est, on l'admettra, un lien d'un intérêt bien maigre entre les planches. De quoi faire un recueil d'archives, certainement pas un livre.

Laurel souhaitait redessiner l'intégralité de son blog (lire son interviou sur le site de Warum), il s'agissait de trouver une unité à l'ensemble. Une unité qui ne soit pas chronologique, mais narrative.

Nous aurions bien sûr pu choisir de construire le blog de façon thématique (vie quotidienne, mot d'enfant, chats, boulot...) ou de créer, comme il a pu être fait, dans le deuxième tome des "Notes" de boulet un lien narratif, externe d'une histoire spécialement créé pour l'occasion et servant de fil rouge au livre...

Finalement, on a fait autre chose.
Tout d'abord, il a fallu opérer une grosse sélection en amont des notes qu'on allait ou pas garder et de celles qu'on modifierait pour faire l'unité globale du livre. Réécrire certaines histoires avec d'autres personnages à la place d'anciens protagonistes pour éviter de perdre le lecteur lambda qui n'a pas suivi le blog depuis trois quatre ans et et puis enfin choisir quel matériel on allait ajouter. (" est ce qu'on ajoute plus de mots d'enfants ? naaan")
Puis la phase de re-dessin et les ajouts des nouvelles planches, certaines sur mes indications, l'essentiel à l'initiative de l'intéressée.

A ce stade, on se retrouve avec pas mal de choses qui ne sont liées par rien, mais aussi quelques séquences inédites réalisées par l'auteur (un début une fin, par exemple et quelques histoires longues reprenant des moments clés de sa vie)... Bref quelques éléments inscrits dans une chronologie, et puis... pleins de pièces éparses.

Lors de la phase de chemin de fer, il a fallu placer les planches dans une logique narrative inexistante à la base et trouver un écoulement fluide tout au long de l'histoire en re-créant des liens qui n'existaient pas sur des planches. Et là, par un miracle éditorial dont il faut créditer l'auteur et la bonne étoile de l'éditeur, tout d'un coup, en mettant certaines planches côte à côte, on se retrouve avec une alchimie étrange qui fait que les planches se nourrissent les unes les autres et dépassent majoritairement leur côté premier degré en prenant un place et un sens dans l'histoire globale.

Concrètement, si on a une planche où le personnage principal fait les courses avec une copine mieux gaulée (chute de la note : elle fait un 34...La salope !) qu'on fait suivre cette note par une note sur des choix de maillots quand on est pas une nymphe... on inscrit le lecteur dans une continuité narrative factice mais crédible ou on pense que le personnage est toujours en train de faire les courses, une chose en amenant une autre, elle part sur des considérations relatives à ce qu'on peut porter quand on a pas une taille de guèpe. Si pour clore cette série on pose une page nommée "moment de lucidité" ou le personnage de la blogueuse s'aperçoit qu'elle vient encore de poster une note sur des achats de fringues et se demande tout d'un coup si... elle serait pas un peu conne... Tout d'un coup, les deux planches précédentes sont éclairées différemment avec un œil distant et un second degré absolument absent des deux premières notes prises séparément.

Comme on le voit, c'est assez drôle comme jeu, même si, bien sûr, on s'éloigne de toute "vérité chronologique". On raconte de nouvelle choses. Et puis ça marche... ou pas

Dans le cas du livre de Laurel il y a eu une véritable alchimie et, alors que j'étais très pessimiste quant au résultat final (jusqu'ici j'affichais une confiance crâne que j'étais loin d'éprouver) j'ai eu la divine surprise de voir le livre se faire.

C'est assez jouissif, c'est comme de voir plein de pièces mécanique s'emboiter magiquement pour finir par former une voiture qui fonctionne.
Et à la fin, il n'est pas resté un boulon en trop (pas comme les armoires IKEA)

Bien sûr le contenu reste toujours le même : chatons, histoires de coeurs, mots d'enfants, jeux de mots atroces et considérations plus ou moins réfléchies sur les possesseurs de 4X4, on ne change pas une équipe qui gagne. Il s'agit bien d'un livre de Laurel, même s'il ne s'agit pas d'un reucueil de notes de blog. Ceux qui détestent Laurel détesteront toujours (mais liront le ivre ^^) ceux qui aiment devraient adorer et découvrir le travail de Laurel sous un jour véritablement nouveau... reste à convaincre les indécis et, surtout, ceux qui ne connaissent Laurel ni d'Eve ni d'Adam, voir qui n'ont jamais lu un blog bd de leur vie, puisque, au départ, on a conçu le livre en pensant à ces gens là.

Nous ne saurons qu'à la rentrée, si nous avons réussi un livre, c'est à dire quelque chose qu'on peut lire d'une traite et qui raconte une histoire..
Je pense que oui, mais c'est vous qui jugerez.

Ah et puis il y a aussi le truc de la fin de l'histoire.Ca c'est véritablement scandaleux. Du pur Laurel. Mais de ça... je ne dirais rien 8)